BARRE (R.)

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BARRE RAYMOND (1924- )

Né à Saint-Denis, dans l’île de la Réunion, de parents négociants, Raymond Barre fait de brillantes études; il s’engage en 1943 dans les Forces françaises libres. Diplômé de Sciences-po, il ne choisit pas l’E.N.A., à la différence de beaucoup d’hommes politiques de sa génération, mais l’Université et présente avec succès, en 1950, l’agrégation de sciences économiques. Auteur à vingt-six ans d’un manuel d’économie qui fait et fera autorité, il est, successivement ou concurremment, professeur à la faculté de droit et des sciences économiques de Caen (1950), puis de Paris (1963), professeur à Sciences-po à partir de 1961 et directeur du service de recherches sur l’activité économique de la Fondation nationale des sciences politiques à partir de 1958. Voilà pour le côté «professeur» de Raymond Barre qui peut compter parmi ses élèves quelques-uns des principaux experts de la gauche: Jacques Attali et Michel Guillaume au Parti socialiste, Philippe Herzog chez les communistes.

L’économiste ne se contente pas d’enseigner: il réfléchit et agit. En économie, Raymond Barre est un libéral et un adversaire du protectionnisme. Rien ne remplace à ses yeux le dynamisme des entreprises. «L’État, écrit-il, peut les inciter à des adaptations structurelles, les aider, mais non les décharger de leurs responsabilités fondamentales.» Conseiller écouté, il prit une part déterminante dans la décision du général de Gaulle de ne pas dévaluer le franc en 1968. Mais au-delà de ce rôle de consultant, Raymond Barre a voulu se mesurer aux réalités en exerçant des fonctions de responsabilité.

Directeur du cabinet de Jean-Marcel Jeanneney, ministre de l’Industrie, de 1959 à 1962, il fut membre du conseil du Centre d’études des revenus et des coûts (C.E.R.C.) auprès du Commissariat général du plan, à partir de 1966, et président de la commission d’étude d’une réforme du financement du logement (janv. 1975). Mais c’est à Bruxelles que Raymond Barre donne sa pleine mesure comme vice-président de la commission du Marché commun animée par des hommes aussi différents que Jean Rey, Francesco Malfatti et Sicco Mansholt, et où il est responsable des affaires économiques et financières (1967-1972). C’est dans ce cadre que naît le premier «plan Barre», qui concerne la coopération monétaire et qui a donné naissance au fameux «serpent» monétaire. À Bruxelles, Raymond Barre rencontre fréquemment le ministre de l’Économie de Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing.

Devenu président de la République, celui-ci se souviendra de cet esprit vigoureux qui, l’un des premiers, s’inquiétait du danger inflationniste. Le 12 janvier 1976, à la faveur d’un remaniement, Raymond Barre est nommé ministre du Commerce extérieur dans le gouvernement Chirac. Le chef de l’État l’a prévenu: «Je vous nomme ministre du Commerce extérieur afin que vous puissiez observer la vie politique et l’action du gouvernement. Car vous ne resterez pas longtemps à ce poste.» Sept mois plus tard, Raymond Barre remplace Jacques Chirac et devient le premier chef de gouvernement non gaulliste de la Ve République. Raymond Barre a été proche du général de Gaulle et des gaullistes, mais l’homme qui arrive à Matignon n’a pas d’étiquette et, surtout, n’en veut aucune.

Attelé tout de suite à la tâche du redressement économique, Raymond Barre élabore un plan qui porte son nom. Cet homme de discipline prône, avec rigueur, l’austérité et se tient contre vents et marées à son objectif: faire reculer l’inflation. Les prix accepteront de plier, mais le chômage prendra une ampleur inconnue jusqu’alors. François Mitterrand avait pronostiqué dès le début: «Je ne souhaite pas que le plan Barre échoue, je ne crois pas qu’il réussisse.» Comme toujours, les résultats sont difficilement interprétables, car en la matière il n’est pas de victoires chiffrées mais, d’abord, des victoires psychologiques.

Même si «le meilleur économiste français» n’a pas obtenu de résultats miraculeux, il n’a pas laissé indifférents les Français. Ceux-ci, agacés par le professeur irrascible du début, ont découvert par la suite le personnage et ils ont crédité ce «Mendès de droite» d’une vertu: le sérieux. Dans la tourmente politique, Raymond Barre, le laboureur, a tenu son sillon et il en escomptera bien en tirer, tôt ou tard, les bénéfices. Sa seule malice aura été de faire croire qu’il n’entendait rien à la politique alors qu’il en connaît parfaitement le jeu et les règles.

Son indépendance affichée par rapport au «microcosme politique» sera mise à rude épreuve non seulement par la gauche, mais aussi par les néo-gaullistes de Jacques Chirac, son prédécesseur à l’Hôtel Matignon. Le R.P.R. critique vigoureusement les différents plans Barre et pratique une sorte d’obstruction parlementaire qui agace le Premier ministre. La fatigue vient, la manière se fait volontiers cassante. «Monsieur Barre» ne cherche pas à séduire. De tous les Premiers ministres de la Ve République, il est celui dont la cote de popularité dans l’opinion est la plus basse, avant de partager, quelques années plus tard, cette distinction avec Pierre Mauroy. Cela ne l’empêche pas d’être élu député de la 4e circonscription du Rhône en 1981, comme il l’avait été en 1976 et comme il le sera à nouveau en 1986, 1988 et 1993. Mais il s’est tenu — et on l’a tenu — à l’écart de la campagne présidentielle. Devenu un des leaders de la droite libérale et du centre, Raymond Barre voit sa cote remonter régulièrement dans l’opinion et surtout chez les parlementaires de l’opposition; d’autant plus facilement qu’il ne fait pas mystère de ses ambitions présidentielles pour l’échéance de 1988.

Les échecs respectifs du président sortant et de Jacques Chirac en 1981 ne paraissent-ils pas lui dégager la voie? La conversion, en 1983, de la gauche gouvernante à la rigueur ne semble-t-elle pas confirmer la justesse des choix qu’il avait lui-même maintenus pendant cinq ans?

Professeur (à Paris-I et à Sciences-po à partir de 1982) et parlementaire indépendant (il est apparenté au groupe de l’Union pour la démocratie française et du centre), Raymond Barre se constitue un peu plus en autorité morale disponible, le cas échéant, pour la magistrature suprême, promenant dans l’intervalle un regard parfois condescendant, souvent sévère sur les affaires de la République. La «politique politicienne» est moins que jamais son fort. Mais suffit-il d’entretenir, dans le personnel politique, un courant de sympathie «barriste» et de rédiger les éditoriaux de Faits et arguments (à partir de 1984) pour équilibrer la puissante machine électorale que constitue le R.P.R., s’affirmer auprès des familles centriste et libérale comme un leader d’avenir, et — le paramètre aura été quelque temps sous-évalué — rivaliser avec François Mitterrand? En 1986, Raymond Barre a refusé avec hauteur les compromissions — et aussi les pièges — de la cohabitation. En 1988, cependant, s’il obtient bien que l’U.D.F. soutienne sa candidature et non celle de Valéry Giscard d’Estaing, il ne tirera guère de fruits de sa stratégie. Sans doute entré trop tard en campagne, il terminera troisième du premier tour de l’élection présidentielle, plus loin, avec 16,54 p. 100 des voix, derrière Jacques Chirac que devant Jean-Marie Le Pen.

Il est probable que Raymond Barre n’est jamais plus populaire auprès des Français que lorsqu’il se fait discret. Mais il faut voir aussi, dans son échec, l’effet d’une marginalisation politique qui s’est accomplie au cours des années 1980 et va se poursuivre au-delà. La concurrence ne procède pas seulement des ambitions et du dynamisme de Jacques Chirac, ni de la montée en puissance de personnalités plus jeunes au sein de l’U.D.F. D’autres acteurs, parfois plus inattendus, s’installent dans l’opinion sur un «fonds de commerce» que Raymond Barre avait pu croire lui être réservé. Acceptée par la plupart comme la seule politique possible, la rigueur dans la conduite de l’économie est à partager avec un Pierre Bérégovoy ou, plus tard, avec un Édouard Balladur. L’image du «sage» ayant en vue les seuls intérêts supérieurs du pays n’est pas moins sollicitée par un François Mitterrand, qui en fait le ressort de son second septennat, et par un Valéry Giscard d’Estaing qui, jusqu’en 1995, ne renonce pas à renouer avec un destin national. Quant à la cause européenne, le «terrain» est très occupé et elle a beaucoup perdu des ses vertus mobilisatrices. Le contexte de la campagne pour l’élection présidentielle de 1995 ne laissera aucune chance à une éventuelle candidature Barre. Sagement, celui-ci s’abstiendra, pour se contenter, peu après, de la mairie de Lyon.

Outre son manuel d’économie, Raymond Barre a publié Une politique pour l’avenir (1982), Réflexions pour demain (1984), Question de confiance (1987), Au tournant du siècle (1988).

Encyclopédie Universelle. 2012.

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